Olga Boudin : Faire fleur
Exhibition text
Olga Boudin
Faire fleur
« I : [...] la nature morte est l’exercice le plus égalitaire en peinture. Une pomme est une pomme pour tout le monde et les sensations qu’on éprouve à contempler une pomme, elles sont si fines et belles. Il faut les exercer sinon on ne sera plus capables d’apprécier cette joie simple. On serait gavés d’images trop agressives, on ne ressentirait rien.
P : Tu crois que tout le monde devrait peindre des pommes ?
I : Je crois que tout le monde devrait regarder les pommes comme un peintre. C’est beau de savoir qu’un objet si simple et commun est apprécié à chaque fois avec une singularité hors norme.
P : Tous les peintres ne sont pas hors norme. C’est même plutôt l’inverse.
I : Mais tout le monde a son propre regard, il y a quand même une forme d’égalité là ».**
Extrait d'une discussion fictive entre les peintres russes du début du XXe siècle Pyotr Konchalovsky et Ilya Mashkov, écrite par Olga Boudin, ce texte constitue sans doute l'entrée la plus pertinente dans l'univers artistique de cette dernière. Car les tableaux d'Olga Boudin mettent en perspective non seulement ses sujets – ici, les fleurs –, mais aussi la nécessité d'être attentif·ve au monde plutôt que d'en avoir une vision désensibilisée. Ainsi, si la nature morte est l'exercice le plus égalitaire de la peinture, peut-être que regarder comme un·e peintre pourrait alors être considéré, d'une certaine manière, comme le comportement le plus égalitaire que nous devrions adopter, qu’importe le sujet.
Il est vrai que le comportement et l'égalité ne sont sans doute pas les premières choses qui traversent l'esprit devant les tableaux d'Olga Boudin. Pourtant, en abordant ces œuvres d'un biais classique, on est pleinement confronté·es au fait que le regard d'une artiste aussi attentive qu'elle donne matière à penser. Dans ces nouveaux tableaux, l'oscillation entre l'ambiguïté spatiale, la précision du trait et l'éclat des couleurs – loin de la confrontation traditionnelle des écoles picturales qui obligeaient les peintres des siècles passés à choisir l'une ou l'autre – met chacun de ces éléments sur le même registre, révélant ainsi le caractère égalitaire de l'œuvre de Boudin. Chaque aspect, chaque objet, chaque coup de pinceau, chaque fleur est ainsi considéré·e comme extra-ordinaire dans sa banalité, tandis que la platitude des surfaces renforce dans ses compositions les formes, accentuant leur caractère décoratif et par conséquent monumental. Donner aux sujets issus du quotidien cet aspect décoratif mais monumental révèle sa capacité de transformation, d’augmentation, ainsi qu'une certaine méfiance à l'égard de l'héroïque et du spectaculaire. Il ne s'agit pas de création, dans le sens de faire exister des choses, mais plutôt d'une reformulation et d'une réflexion sur le statut des choses qui existent déjà.
Il serait erroné de considérer cette réflexion comme passive. Le titre « Faire fleur » aurait facilement pu être « Être fleur » – un autoportrait dans lequel un motif floral représente l'artiste incarne cette alternative. Cependant, le « faire » rappelle ici une certaine rhétorique politique ou un appel à l'action et un mécontentement à l'égard des complaisants. En ce sens, nous sommes témoins de l'immobilité confrontée à l'action – non seulement dans le lexique, mais aussi dans le coup de pinceau mouvementé et la composition de formes immobiles. Et peut-être que le choix d'Olga Boudin de faire fleur, dans le sens actif du terme, peut aussi être comparé à son choix de faire artiste : laissons de côté pour un temps la passivité du verbe « être ».
Olga Boudin fait artiste à Lacelle. Elle peint des fleurs – et parfois des outils, des pâtissons, des bouteilles et des pastèques – avec un regard attentif et attentionné. Elle développe un rapport affectif avec les sujets auxquels elle est fidèle dans le but de donner à voir comment des objets si simples et communs peuvent être appréciés avec une singularité hors norme. Un poème de Rene Ricard rappelle cette démarche :
« ET puis j’ai tenté de me mettre
à distance du sujet, mais la
distance n’était qu’un autre
angle sur le même sujet et
le sujet était toujours le même, toi ».***
Le « toi » pourrait ici être remplacé par des fleurs, des pommes, et ainsi de suite – mais il sera toujours le sujet affectionné d'un regard singulier : celui d'une peintre.
** Olga Boudin, « Piotr et Ilia »
*** Rene Ricard, « Sans titre », dans God With Revolver, Éditions Lutanie, p. 28